J'ai eu le bonheur de participer à un atelier d'écriture théâtrale avec le dramaturge québécois Olivier Sylvestre. Un des exercices consistait à s'immerger dans la ville et à retranscrire les scènes, les éléments, les personnages qui attirent notre attention. 
Je suis allée m'immerger au marché couvert de Fort-de-France et j'en ai ramené ces quatre instantanés.

Au marché couvert

Les stands sont chargés de punchs de toutes les couleurs, de toutes les saveurs, "exotiques" dirait-elle. Elle traine devant les étals comme dans un cabinet de curiosité : tout est surprenant, tout est insolite, tout est bizarre.
- Punch coco-menthe ! Non mais punch coco-menthe !, dit-elle hilare à son copain.
Et elle rit, elle rit et elle seule sait ce qu'il y a de si drôle dans ce punch coco-menthe.

Il est assis sur son tabouret adossé à l'escalier le nez dans son téléphone, absorbé loin ailleurs. Les lumières de l'écran se reflètent dans ses lunettes. Le monde tourne, avance, marche, se déplace, parle fort, s'interpelle et ce gamin en est absent, il y est étranger. Il est tellement ailleurs que c'est presque comme si son corps n'était pas là non plus. Il ne nous voit pas, il ne nous perçoit pas. Et cet ailleurs qui l'absorbe l'efface un peu pour nous aussi, le gomme de nos regards, dissout notre attention.


Il y a madame en cycliste et débardeur. Il y a monsieur en bermuda et polo. Deux touristes échoués au marché. Ils sont assis Chez Carole comme d'autres qui viennent y manger. Ils sont assis côte à côte chacun sur une chaise de plastique blanc.
Ils sont assis côte à côte dans ce restaurant et ils regardent droit devant eux. On pourrait croire qu'ils attendent d'être servis. Ils pourraient être en train d'attendre d'être servis mais devant eux il n'y a pas de table. Non. 
Il y a juste madame en cycliste et débardeur assise à côté de monsieur en bermuda et polo et ils regardent droit devant eux.

Elle est habillée d'une robe en madras. Elle a sur la tête une coiffe en madras. Elle a aux oreilles des tété négresses. Elle a la voix qui porte et le regard fier, l'assurance martiniquaise des grandes personnes. Elle est assise avec une vue stratégique sur tout le marché. Son regard scrute tout et tout le monde. Même quand elle ne parle pas, on lit sur son visage tout ce qu'elle en pense.
Elle m'interpelle :
- Tu vas faire des travaux dans le marché ?
- Non madame, j'écris.
- Ah bon !
Et je sens dans cet "ah bon!" que j'échappe de justesse à un interrogatoire à charge en bonne et due forme.
- Ah bon ! C'est bien. Continue alors.


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Commentaires

Nayanka Sla
il y a 5 jours

Merci infiniment !
Jadoooore !! J'ai senti les épices et l'énergie des gens au marché de Foyal à travers tes textes.
Ton écriture est un subtil mélange de miel et de gingembre !! Mèsi anchay !! Bwa pou nou alé...simen pawol anlè nou!!!